Du papier-mémoire…
J’ai conservé de mon enfance, quelques images douloureuses. Des petits riens
qui crissent encore dans ma mémoire quand l’esprit se fait nostalgique.
Dans ces souvenirs fragiles, un plaisir étrange se mêle à des sentiments
disparates dans lesquels je me complais, cherchant à travers d’insignifiantes
douleurs le gamin timide et maladroit que j’étais. Comme tous les gosses de la
« primaire », je portais une blouse grise, des culottes courtes, un cartable
bien trop lourd au bout d’un bras maigre et j’avais une coiffure « bien dégagée
autour des oreilles »…
Les récrés m’avaient couronné les genoux. Je possédais un plumier contenant des
crayons noir, bleu et rouge, une gomme bicolore à encre et à dessin, un
porte-plume et des plumes sergent-major. Le nom militaire, sévère et grave de
ces plumes trop dures qui déchiraient le papier m’était insupportable. Comment
peut-on apprendre à écrire avec plaisir lorsqu’on doit utiliser des plumes
sergent-major ? Par quel miracle un môme de dix ans est-il capable de tracer
des lettres sans faire des tâches d'encre entre les stricts barreaux des
interlignes espacés de deux millimètres ?
Je me souviens qu’il était impérieux d’attaquer ces lignes à un carreau de la
marge. Un ! Pas deux ni trois… Un ! Et de la main droite ! La gauche était
interdite par je ne sais quelle loi.
L’instituteur s’évertuait à contrarier les quelques gamins aux hémisphères
cérébraux inversés…. … Le seul espoir qui me restait, le réconfort, la
consolation, c’était mon buvard… Ce buvard rose et moelleux absorbait mes
erreurs, mes ratures, mes maladresses, s’étiolant, se noircissant et
s’effilochant au long des heures d’écriture. Sous ma paume, le buvard suivait
la plume et me réconfortait un peu par sa simple présence.
Le soir, de retour chez moi, lorsque je me mettais à mes devoirs, j’ouvrais mon
cahier de classe et m’attardais à regarder mon buvard qui se souvenait, à
l’envers, de quelques phrases, de quelques tâches qu’il avait absorbées.
Didier Convard « Petite brocante intime » Pocket 1999
Le stylo BIC
En ce temps là , c’est au stylo à bille - intrusion de la modernité dans un
décor de IIIème République - que s’effectuait la correction de vos dictées,
compositions et autres épreuves de calcul.
Un « Bic » quatre couleurs servait de juge de paix impitoyable à « M’sieu »,
maître d’école de son état social, traçant un « B » majuscule pour « Bien »,
accolant les deux lettres « m » et « d » pour « mal dit », rajoutant et
soulignant un « s » pour l’oubli d’un accord de participe passé.
Toutes ces annotations énergiquement griffonnées dans la marge de votre cahier
d’exercices ou sur vos copies de comportaient ainsi la marque du Maître, la
trace du « Bic » quatre couleurs, dont deux seulement - le rouge et le vert -
collaboraient indifféremment à la justice scolaire.
Christian Bobin « Petite brocante intime » Pocket 1999
Le tricotin
Il est là, sur le chemin de l’école, dans la vitrine, entre des boutons
d’argent, des pelotes de laines « Fantaisie du Bon Pasteur », au milieu de tout
un fouillis minuscule.
Je ne vois que lui. Lui ? Elle ? « Tricotin » indique l’étiquette, mais
pourquoi ce masculin ? Tout en lui est féminin, la petite silhouette de bois
aux hanches renflées, ce visage arrondi, la bouche rouge, la petite toque verte
surmontée de quatre clous qui donne à ce modeste champignon des allures de
tsarine en exil….
- Maman, je voudrais un tricotin…
J’ai finis par l’avoir, je lis et relis la notice…
Pas si simple le geste facile des championnes de la récré ! Trop lâche, le fil
s’échappe, trop serré, la pique se refuse à glisser. La laine renonce à se
soulever, se divise, s’effiloche, accrochée au clou comme un flocon de laine de
mouton sur un barbelé.
Martine Delerm.
Les trois instituteurs
Dans la cour de l’école, trois instituteurs, trois blouses grises, trois
casquettes font les cent pas. Je n ‘aimais pas celui du milieu. Pas trop. Le
premier, je l’ai connu à l’époque où les mots étaient des images, bâtissaient
des histoires, entamaient des mensonges que je n’ai pas finis. Le second se
tenait raide comme un I sur ses socs. Ses cheveux étaient déjà blancs et les
nôtres, coupés courts par une tondeuse, si froide sur la nuque. Le temps était
aux leçons de choses qu’on appellera plus tard sciences naturelles et,
maintenant biologie.
Le dernier de nos maîtres était celui des cartes quand la Lorraine était rouge
et jaune, la Bretagne vert et marron. Il y avait la métallurgie et la houille;
les pâturages et les bovins. Les mots avançaient dans l’inconnu et les trains
passaient tous par Paris. Napoléon et ses soldats gelaient sur la Berezina et
mon père m’appâtait dans le jardin avec les histoires de France et les combines
d’Archimède
Je découvrais avec joie la culture générale et les passions des hommes. Plus
tard, j’ai aimé la géographie à la longue des promenades au bord des rivières
et de l’Océan Atlantique dont le nom majuscule traversait le globe.
Yvon Le Men « Le petit tailleur de shorts » Flammarion
1996
La classe unique
L’école, c’était la classe unique.
Tous mélangés, les petits avec les grands. Le but, c’était le certificat
d’études. Sa méthode, au vicaire instituteur, c’était deux choses. Un: les
grands apprennent aux petits. Deux: chacun travaille à son rythme. Chaque
matin, il nous distribuait une fiche. C’était la feuille de route pour la
journée. Il donnait des pistes, des points de repère. Et nous laissait nous
débrouiller. On allait, bien sûr, plus ou moins vite. Dès qu’on avait fini, on
pouvait passer à autre chose. Aider les petits, si on était un grand. Prendre
un livre dans la bibliothèque. Potasser l’Histoire de France, la géographie,
dans des beaux manuels pleins d’illustrations. jamais de devoirs à la maison.
La liberté, l’autonomie. Lui, pendant ce temps-là, il se consacrait à son
deuxième boulot : la menuiserie. Il adorait bricoler, travailler le bois. Juste
à côté de la salle de classe, il s’était installé un atelier. Alors il sciait,
découpait, rabotait, clouait, collait, on entendait le boucan des machines, on
sentait l’odeur de la sciure, pendant qu’on travaillait. De temps en temps, il
venait voir comment ça se passait. Posait des questions. Donnait un coup de
main. Puis retournait à ses machines. Il avait fabriqué de ses mains tous les
bureaux de la classe. Avec un système de goupille sous le siège (pivotant) qui
permettait au bureau de s’adapter à la taille de l’élève, au fur et à mesure
qu’il grandissait.
Pendant les récrés, il jouait au foot avec nous. Ou aux barres, au béret, au
ballon prisonnier. Ou nous faisait construire des avions en bois d’allumette, avec
un système d’hélice à élastique, on remontait l’hélice, on lâchait tout,
l’avion décollait, volait trente seconde puis s’écrasait dans la cour. On
recollait, on recommençait. Bien sûr, il pouvait être sévère. Il donnait des
fessées avec ses mains larges comme des battoirs, qu’est-ce que ça faisait mal.
Le plus terrible, c’était l’humiliation devant les autres… Fallait surtout pas
pleurer…
A part ça, c’était l’école de rêve. Classe unique, le travail à la carte,
l’envie et le plaisir d’apprendre, l’odeur de la sciure, le poêle qui ronflait
en hiver, ceux de la campagne qui arrivaient pleins de givre et de neige après
leur longue marche à pied. On avait des blouses grises, des sabots (les filles,
des galoches) ou des socques, brodequins à semelles de bois sous lesquelles on
clouait des bandes de caoutchouc. Quand j’ai lu Le Grand Meaulnes, j’ai tout
reconnu, immédiatement. C’était mon école, mon village, mes histoires et mes
légendes. C’était chez moi.
Alain Rémond « Chaque jour est un adieu » Seuil 2000
Les images
Inventez une conversation qui corresponde à l’image muette, dit le maître après
la récréation. Peu après, la première plume s’accroche dans une fibre du bois
du papier. Sgrffch ! Inventer, c’est quoi, pense un élève, mais de là à
demander la chose au maître en blouse grise de boulanger ! c’est cousin de
mentir, lui souffle un de ses nombreux cerveaux.
Toujours fini trop tôt le travail, tu ferais mieux de te relire. Au lieu de ça,
Monsieur classe, avec son cerveau classeur. Il y a quatre sortes d’images ( et
dans l’ordre s’il vous plaît): les images des livres de classe, les images
pieuses, les images de Coq Hardi, les images de tablettes de chocolat. «
Eléphant d’Afrique », « Eléphant d’Asie », violette fanée marron poussiéreux.…
Jean-Paul Barbe « Villa Ker Enfance » éditions joca seria
2002
L'orthographe
Trêve de plaisanteries, dit le maître. Ca, ça veut dire que les devoirs se
radinent. Exact: « Vous apprendrez pour demain le résumé sur l’Union Soviétique
» Soviétique avec un O, dit le encore maître. Donc rien à voir avec le «
Sauviétique » comme a écrit le malheureux… a deux tables de moi, mais si
visible. « je n’en attendais pas moins de toi » dit le maître à l’enfant tout
rouge. Un autre peut-être, resté impuni sur le bon bord des bancs, a mis «
l’Oignon soviétique ». Au moins « oignon » est écrit correctement, dit sa mère
mécréante de chantier naval, mais quand même, le « grand Staline » mérite mieux
que ça. Donc une baffe, une ! Baffe de mère, c’est toujours du demi-tarif. Les
pères, c’est tarif plein. Les maîtres, c’est du renforcé. Fait beaucoup
d’usage. En cas de désaccord des participes, tiens !
Jean-Paul Barbe « Villa Ker Enfance » éditions joca seria
2002
La grille
On arrivait le premier octobre devant la grille de l’école avec pas un seul
bout de papier sur soi. Je n’allais tout de même pas apporter les restes de mon
cahier de vacances, moi qui était le seul à en avoir un de tout Saint-Guillemot
! je l’avais fait en cachette, ce sacré cahier. Tant que tu veux, Grand’mère,
mais n’en parle à personne. Le directeur a eu toutes les peines du monde à
ouvrir la grille. Rouillée de pendant la guerre, sur-rouillée de trois mois
d’été. Le directeur s’arc-boute; il a raison de la rouille. La grille fonctionne,
les porteurs de tabliers rentrent, la figure se compose : rangs par deux, pois
sans rames, air du temps. L’appel se fit sans hâte, comme au onze novembre. Une
grande personne nous réinventait, au ton qu’elle voulait, nos noms, mettant en
plus le prénom à la fin.
Jean-Paul Barbe « Villa Ker Enfance » éditions joca seria
2002
Les odeurs
Je me vois, à peu près dans le même temps, monté sur une chaise devant le
tableau noir d’une classe et traçant mes lettres à la craie, tout fier de mon
savoir précoce. Et la mémoire des sens, ces sons, ces odeurs qui vous arrivent
du passé comme d’un autre monde, sans qu’il y ait trace d’événement ou
d’émotion quelconque.
Alphonse Daudet, » Histoire de mes livres »
L'écolier
Chaque village aura, dans un temple rustique, Dans la lumière, au lieu du
magister antique, Trop noir pour que jamais le jour y pénétrât, L’instituteur
lucide et grave, magistrat Du progrès, médecin de l’ignorance, et prêtre De
l’idée; et dans l’ombre on verra disparaître L’éternel écolier et l’éternel
pédant.
Victor Hugo « Les Contemplations »
La classe
J’arrivais presque toujours avant les autres; j’entrais dans la salle encore
vide, je posais ma bûche et mes sabots à côté du poêle pour les sécher.
Tout est encore là sous mes yeux: les poutres blanchies à la chaux, les bancs à
la file, le grand tableau noir contre le mur, entre les deux fenêtres ; tout au
fond, la table de notre maître, sur une petite estrade. Chacun devait balayer à
son tour mais je commençais en attendant les autres.
Erckman-Chatrian, « histoire d’un paysan »
Trésors d'école
« Je me rappelle encore cet être singulier et tous les trésors étranges
apportés dans ce cartable qu'il s’accrochait au dos. Ce furent d’abord les
porte-plume « à vue » qu’il tira pour écrire sa dictée. Dans un œillet du
manche, en fermant un œil, on voyait apparaître, trouble et grossie, la
basilique de Lourdes ou quelque monument inconnu.
Il en choisit un et les autres aussitôt passèrent de main en main.
Puis ce fut un plumier chinois rempli de compas et d’instruments amusants qui
s’en allèrent par le banc de gauche, glissant silencieusement, sournoisement,
de main en main, sous les cahiers, pour que M. Seurel ne pût rien voir. »
Alain-Fournier « Le Grand Meaulnes »
Le cancre
« Soudain le fou rire
le prend
et il efface tout
les chiffres et les mots
les dates et les noms
les phrases et les pièges
et malgré les menaces du maître
sous les huées des enfants prodiges
avec des craies de toutes les couleurs
sur le tableau noir du malheur
il dessine le visage du bonheur. »
Jacques Prévert, « Le cancre »
Les billes
« Aux billes, c’était lui qui avait le plus de pouce; il savait pointer et
rouletter comme pas un; quand on jouait au pot, il vous foutait les znogs sur
les onçottes à vous faire pleurer, et avec ça, sans morgue aucune ni
affectation, il redonnait de temps à autre à ses partenaires quelques-unes des
billes qu’il leur avait gagnées, ce qui lui valait une réputation de grande
générosité. »
Louis Pergaud, « La guerre des boutons »
Cet article est issu du
"CD ROM du cinquantenaire", réalisé en 2001-2002 par les élèves et
les professeurs de l'école, et coordonné en particulier par :
- Jean-Claude Lebeau, maître formateur
- Christine Hauray, conseillère pédagogique
- Michel Mahé, directeur de l'école Jean Jaurès 1